Un véritable aquarium grandeur nature où évoluent des centaines de poissons de récif et du large. Une eau riche où vivent de magnifiques coraux. L’Aquarium, baigné par les courants entrants de la passe de Tiputa, préservé de la houle grâce à la protection naturelle du motu Nohi Nohi, est idéalement situé : « c’est un site parfait pour les baptêmes de plongée et le snorkeling » confie Laurent Dureau, plongeur expérimenté à travers le monde et la Polynésie, où il s’est ancré il y a sept ans.
Vrombissements de moteurs. Agitation aquatique, frénétique, générée par de vigoureux mouvements d’eau. Les ancres sont jetées à l’eau sans égard pour les coraux, faute de bouées disponibles. Des coups de palmes éraflent les massifs coralliens. Dans ce lieu surfréquenté, seuls 30% du corail sont encore vivants. La faune et la flore souffrent, appellent silencieusement à l’aide pour survivre à ces multiples agressions quotidiennes.
Pour défendre l’Aquarium, Laurent Dureau est devenu le porte-parole des plongeurs dans le comité de gestion des espaces maritimes de Rangiroa. Le plongeur s’est formé en France, enseigne depuis 25 ans, a aidé à monter quatre structures à Mayotte, aux Maldives, en Croatie et en Atlantique, a exploré de nombreux sites sur la planète avant de s’attacher à la Polynésie, et à Rangiroa en particulier, où il exerce comme patenté dans différents centres de plongée.
Laurent explique que le tourisme démarre à Tiputa vers les années 1960, avec les premières excursions en hydravion organisées par le Club Med. En 1965 s’ouvre une piste sur l’atoll : le tourisme démarre alors vraiment. Les visiteurs explorent ensuite le motu Nohi Nohi et l’Aquarium sur un bateau à fond de verre. À partir de 1985, le site accueille les initiations de plongée du Raie Manta Club et des mouillages sont installés pour préserver les madrépores. Progressivement, ce site exceptionnel de Polynésie française devient toujours plus fréquenté, et l’après-covid voit l’activité des professionnels du tourisme tripler sur une surface de 10 000 m² seulement ! Aujourd’hui, les va-et-vient des prestataires engendrent des situations à risques, notamment lorsque les hélices de bateaux frôlent des plongeurs.
L’Aquarium attire de nombreux acteurs. C’est pourquoi le comité de gestion, créé il y a trois ans, rassemble les représentants des différents secteurs de la commune, de la plongée, des organisations environnementales, des excursionnistes et activités lagonaires, de la pêche, de l’aquaculture, des fermes perlières et du Comité du tourisme de Rangiroa et sa population.
L’Aquarium est le premier site de l’atoll sur lequel se construit une réflexion dès 2022. Dix ans plus tôt déjà, des accords tacites visant à préserver la zone avaient été mis en place, sans toutefois aboutir à un PGEM (Plan de Gestion de l’Espace Maritime). À présent ces mesures sont insuffisantes. Il y a urgence. Une première série d’actions est menée en 2024 : la zone est nettoyée et réaménagée, les corps-morts et anciennes bouées sont retirés, de nouveaux mouillages sont installés pour créer un alignement de bouées strictement interdit à la navigation, uniquement destiné aux plongeurs et snorkeleurs.
Un diagnostic devrait être réalisé prochainement sur la zone afin de répertorier les différentes espèces de poissons, de comptabiliser le nombre de bateaux et de visiteurs, les types de prestataires, les bénéfices économiques, le nombre de familles qui en vivent, etc. « Autant de paramètres qui vont permettre de trouver les bons compromis, les bonnes décisions, où les plans environnementaux auront la priorité sur les activités économiques, car la ressource est essentielle » note Laurent. Une fois qu’un consensus aura été trouvé, il sera soumis au Pays, au Conseil des ministres et à la commune afin de réglementer l’espace.
Ces mesures permettront au lagon de souffler et de se régénérer, afin qu’il perdure. Le corail est capable d’une extraordinaire résilience… si on lui en laisse le temps ! Au quotidien, hors activités humaines, le lagon est déjà soumis à des enjeux climatiques et environnementaux : agression des taramea (étoiles de mer dévoreuses de corail), augmentation de la température de l’eau, acidification de l’océan, tempêtes en augmentation - même si Rangiroa est plus épargné.
Selon Laurent, ce site magnifique mérite une véritable prise de conscience de chaque intervenant afin de préserver le lagon : « nous en avons les moyens et nous pouvons le faire en conscience. C’est un leg pour le futur, pour les jeunes générations. » Récemment, les jeunes du collège de Rangiroa ont plongé dans l’Aquarium. Ils ont pu percevoir le lien vital qui existe entre les coraux et les poissons, entre la mer et l’homme, entre la vie et l’océan, des notions phares de la culture polynésienne.
L’Aquarium jouit d’une valeur forte. C’est un lieu de nidification et de reproduction de plusieurs espèces (sergents majors, becs de canne, balistes…), où habite l’extraordinaire corail porites rus, étudié par l’association Tama No Te Tairoto. Un site traversé par différents requins, de gracieuses raies ou des tortues, parfois par un grand requin marteau, ou même des dauphins ! Pour préserver l’émerveillement, il est vital de préserver la nature.